La Prière de l’apôtre Paul : une voix gnostique oubliée
- Pascale de Tol

- 17 août
- 7 min de lecture
Parmi les textes découverts à Nag Hammadi en 1945, un petit écrit semble souvent passer inaperçu : la Prière de l’apôtre Paul.
Elle ouvre pourtant le premier codex de cette bibliothèque, comme une clé placée à l’entrée pour signaler à celui qui s’avance que la Gnose n’est pas un discours intellectuel, mais une expérience intérieure de relation vivante à la source.
Cette prière, courte et mystérieuse, déploie une vibration singulière : ce n’est pas seulement la voix d’un homme qui implore, mais bien la parole de l’étincelle divine en l’homme qui se souvient de son origine et se tourne vers elle. En cela, elle mérite une attention particulière, car elle nous montre le vrai sens de la prière selon la Gnose : une reconnaissance de ce que nous sommes déjà dans la lumière, et un appel à vivre à nouveau en elle.
Il est important de préciser que la Prière de l’Apôtre Paul n’a presque certainement pas été rédigée par Paul lui-même. Les chercheurs s’accordent à dire qu’il s’agit d’un texte gnostique, probablement composé au IIᵉ siècle, qui a été placé sous son nom afin de bénéficier de son autorité apostolique. Cette pratique était courante dans l’Antiquité : attribuer un écrit à une figure reconnue permettait de le faire circuler plus largement et de lui donner un poids spirituel ou doctrinal supplémentaire.
Cela ne retire rien à la puissance du texte. Au contraire, si cette prière a été conservée au tout début de la bibliothèque de Nag Hammadi, c’est qu’elle occupait une place particulière dans la tradition gnostique. Elle exprime avec une intensité rare la voix de l’étincelle divine qui cherche à se souvenir de son origine et à retrouver la plénitude du Père. Ce n’est donc pas tant la question de l’auteur qui importe, mais la résonance vibratoire que le texte continue de transmettre aujourd’hui.

Le texte original de la prière de l'apôtre Paul : la version la plus authentique
Le texte de la Prière de l’apôtre Paul nous est parvenu en copte, fragmentaire mais puissant. Les traductions varient, certaines cherchant à combler les manques par des formulations plus harmonieuses. Pourtant, l’édition de la Pléiade reste l’une des plus fidèles, en préservant les lacunes et en gardant le souffle brut du manuscrit.
Prière de l’apôtre Paul (NH I, 1) — traduction de Jean-Daniel Dubois - La Pléiade
(Note : lacune de 2 lignes au début du texte)
[ta lu]-mière, accorde-moi ta [miséricorde, mon] Sauveur, sauve-moi, car [moi], je suis à toi ; je suis issu de toi.
Tu es [mon] intellect, engendre-moi.
Tu es mon trésor, ouvre-moi.
Tu es mon plérôme, reçois-moi en toi.
Tu es mon repos, accorde-moi ce qui est parfait, ce qu’on ne peut pas saisir.
Je t’invoque, toi qui es et qui préexistes, par le nom exalté plus que tout nom, par Jésus-Christ, [Seigneur] des Seigneurs, Roi des Éons.
[Accorde-]moi tes dons sans les regretter, par le Fils de l’Homme, l’Esprit, le Paraclet [de vérité].
Accorde-moi la puissance de te demander.
Accorde-moi la santé de mon corps puisque je te le demande
par l’Évangéliste, [et accomplis] la rédemption de mon âme lumineuse à jamais, ainsi que celle de mon esprit.
Et le Premier-Né du Plérôme de grâce [révè]le-le à mon intellect.
Gratifie-moi de ce qu’œil d’ange ne verra pas, et de ce qu’oreille d’archonte n’entendra pas, de ce qui ne montera pas au cœur de l’homme, celui qui est devenu ange, et à l’image du dieu psychique, après qu’on l’eut façonné depuis le commencement.
Puisque j’ai la foi et l’espérance, gratifie-moi de ta grandeur bien-aimée, élue, bénie, le Premier-Né, le Premier Engendré,
B. (Lacune de deux ou trois lignes au début de cette page) et le mystère merveilleux de ta maison.
Car, c’est à toi qu’appartiennent la puissance, la gloire, la bénédiction et la majesté d’éternité en éternité. [Amen].
Prière de Paul, l’apôtre. En paix ! (Décoration : suite de cinq croix) Christ est saint !
Ce texte, d’une densité étonnante, condense en peu de lignes l’essentiel de la voie gnostique : l’invocation de la lumière véritable, le désir de recevoir ce qui échappe aux sens et à la raison, l’aspiration au salut de la semence divine en nous, et la reconnaissance finale que toute gloire, toute puissance et toute bénédiction appartiennent déjà à Celui qui est la source de tout.
La voix qui s’exprime : l’étincelle divine en nous
Pour comprendre cette prière, il est essentiel de ne pas la lire comme une supplication d’un croyant vers un Dieu lointain. Dans la vision gnostique, la prière n’est pas adressée à une divinité extérieure qui viendrait combler un manque, mais elle est la résonance de l’étincelle divine en nous qui s’élève vers son origine.
Autrement dit, c’est le pneuma — la part incorruptible de l’être — qui parle en nous, et non la psyché terrestre. C’est pourquoi les mots de cette prière ne ressemblent pas à une demande ordinaire : ils expriment le souvenir profond d’une appartenance au Plérôme (le Royaume de la plénitude divine) et l’aspiration à y retourner.
On remarque que la prière n’évoque pas des besoins matériels ou émotionnels. Elle ne demande pas le pain, la santé, la protection visible. Elle appelle ce que « nul œil n’a vu, nulle oreille entendu, nul cœur conçu », c’est-à-dire ce qui échappe au monde sensible et à l’imaginaire de la psyché.
Ce qui est demandé n’appartient pas à la matière, mais au domaine du pur esprit.
Les demandes essentielles : ce qui dépasse la matière
Cette phrase, « ce que nul œil n’a vu, ce que nulle oreille n’a entendu, ce que nul cœur n’a conçu », est une clé majeure. Elle rappelle que la véritable révélation ne peut être captée par les sens ou par le mental. Elle vient d’ailleurs, et ne se laisse pas enfermer dans les limites du monde. Cette demande exprime un détachement radical des apparences, pour se tourner vers le don du Très-Haut.
La comparaison avec la prière du "Notre Père"
La fin de la prière de Paul ressemble étrangement à la conclusion traditionnelle du Notre Père : «Car à toi appartiennent le règne, la puissance et la gloire pour les siècles des siècles. Amen.» Ici, on retrouve la même structure, mais avec des termes différents : « Car à toi appartiennent la puissance, la gloire, la bénédiction et la majesté d’éternité en éternité.»
Cette ressemblance n’est pas fortuite. Elle révèle une proximité d’inspiration, une même reconnaissance que tout appartient au Très-Haut.
Mais les différences sont importantes :
• Le Notre Père est une prière communautaire, formulée au pluriel («donne-nous», «pardonne-nous»). Elle exprime l’union d’un peuple ou d’une assemblée qui s’adresse à un Père extérieur.
• La Prière de l’apôtre Paul est radicalement personnelle. Elle ne parle qu’à la première personne («que ma semence ne défaille pas»). Elle n’évoque pas le pain quotidien, le pardon, ou les tentations, mais uniquement la sauvegarde de la lumière intérieure.
• Le Notre Père est enseigné comme une règle de prière simple, accessible à tous. La Prière de Paul est ésotérique, destinée à ceux qui ont déjà entendu l’appel de la Gnose.
Ces deux prières s’éclairent mutuellement : la première montre la voie de la confiance envers le Père céleste, la seconde dévoile le chemin plus intime du pneuma qui s’élève au-delà de toute domination, de toute puissance, pour reconnaître uniquement la lumière.

Une prière pour aujourd’hui : comment la vivre intérieurement
Lire ou réciter cette prière ne suffit pas si elle reste au niveau des mots. Elle ne peut être vivante que si nous la laissons naître de notre centre divin, de la Présence intérieure.
C’est pourquoi le « mode d’emploi » est simple : avant de la prononcer, il s’agit de se recentrer, de respirer doucement, de laisser tomber les pensées du monde. Alors, au lieu de parler à un Dieu extérieur, nous laissons la lumière en nous s’adresser à sa source.
Ainsi vécue, la prière devient une vibration, une résonance. Elle peut être récitée chaque jour, ou simplement contemplée en silence. L’important n’est pas la répétition mécanique, mais la qualité de la présence intérieure.
Plus nous laissons la semence parler en nous, plus elle s’embrase et retrouve sa nature.
Méditation sur la prière de l’apôtre Paul
Voici une méditation simple qui peut accompagner la récitation de la prière, afin qu’elle soit vécue dans le corps et dans l’âme, et non seulement récitée par la bouche.
Installe-toi confortablement, ferme les yeux et laisse ton souffle devenir plus calme.
Inspire profondément, puis expire lentement, comme si tu déposais tout ce qui t’encombre.
Laisse la respiration s’installer comme un rythme doux. Inspire, retiens un instant, puis relâche.
À chaque souffle, recentre-toi dans ton cœur.
Visualise une petite flamme lumineuse au centre de ta poitrine, fragile mais claire.
C’est la semence divine en toi.
Avec chaque inspiration, vois-la briller un peu plus, comme si elle se souvenait de sa source.
Avec chaque expiration, libère les voiles de la peur, du doute ou de la fatigue.
Lorsque tu sens que cette flamme est vivante en toi, laisse monter doucement les paroles de la prière de l’apôtre Paul.
Ne les prononce pas seulement avec la bouche : laisse-les sortir de cette lumière intérieure, comme si c’était elle qui parlait.
Laisse les mots de la prière résonner dans ton être entier. Sens qu’ils ne demandent rien au monde, mais rappellent seulement ton appartenance à l’éternité.
Reste un instant dans ce silence vibrant. Sens que tu es déjà relié à la source, que la lumière t’engendre et te reçoit. Puis termine en prononçant intérieurement :
« Car à toi appartiennent la puissance, la gloire, la bénédiction
et la majesté d’éternité en éternité.
Amen. »
Respire profondément, puis ouvre les yeux en gardant la paix intérieure.
Conclusion
La Prière de l’apôtre Paul est l’un des joyaux les plus discrets de Nag Hammadi. Par sa simplicité et sa profondeur, elle condense tout l’esprit de la Gnose : non pas implorer un Dieu extérieur, mais laisser l’étincelle divine en nous s’élever vers son origine et se souvenir de sa lumière.
Sa ressemblance avec le Notre Père rappelle que la vérité a toujours été présente, mais elle la dépasse en intensité intérieure, en appel direct du pneuma vers le Plérôme.
Aujourd’hui, cette prière peut devenir pour nous un chemin de retour, une clé vibratoire. Elle ne demande ni rite ni intermédiaire, seulement un cœur qui s’ouvre et une semence qui se souvient.
Elle nous rappelle que ce que l’œil n’a pas vu et que l’oreille n’a pas entendu, nous pouvons le recevoir si nous laissons la lumière prononcer en nous les mots de l’éternité.



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