Les codex de Nag Hammadi
- Pascale de Tol
- 14 sept.
- 7 min de lecture
Dernière mise à jour : il y a 1 jour
De leur découverte en 1945 à leur transmission aujourd’hui
Le contexte de l’Égypte rurale en 1945
L’histoire de la découverte des codex de Nag Hammadi commence dans un cadre des plus simples, loin des bibliothèques savantes ou des grandes fouilles archéologiques. En décembre 1945, l’Égypte vit encore sous l’héritage d’une vie rurale rythmée par les récoltes et la pauvreté. Dans la région de Haute-Égypte, près du village de Nag Hammadi, les habitants extrayaient du sebakh, une terre riche en nitrate, utilisée comme engrais dans les champs.
C’est dans ce contexte que Mohammed Ali al-Samman et ses frères partirent creuser au pied de la falaise de Jabal al-Tarif. Ils n’imaginaient pas alors qu’ils allaient mettre au jour l’une des plus grandes découvertes spirituelles du XXe siècle.
Mohammed Ali al-Samman et la jarre scellée
En creusant, Mohammed Ali frappa sur une jarre scellée, haute d’environ un mètre, enfouie dans la terre depuis plus de quinze siècles. La légende rapporte qu’il hésita à l’ouvrir. Dans la tradition populaire, une jarre fermée pouvait contenir un djinn, un esprit dangereux, et l’idée d’en libérer un l’effrayait, mais la curiosité l’emporta.
Quand ils la brisèrent, au lieu d’or ou de bijoux, ils découvrirent des livres reliés en cuir, très anciens, soigneusement entassés. Ces treize codex en papyrus allaient bouleverser la connaissance de la spiritualité chrétienne primitive.
L’ouverture des codex et les premières réactions
Ces paysans illettrés ne comprirent pas la valeur du trésor. Les manuscrits leur semblaient être de vieux livres sans utilité. Certains furent brûlés pour alimenter le feu de la maison, d’autres furent découpés ou vendus par morceaux.
Pourtant, ce qui venait d’être

redécouvert constituait une véritable bibliothèque gnostique, préservée depuis le IVe siècle de notre ère, cachée probablement par des moines pour échapper aux persécutions et à la censure doctrinale.
Du désert à la circulation clandestine
La dispersion des manuscrits après la découverte
Rapidement, les codex se dispersèrent. Mohammed Ali et ses frères en vendirent quelques-uns à des antiquaires locaux. L’un des manuscrits fut acheté par un prêtre copte qui, conscient de leur ancienneté, tenta de les préserver. Mais dans ce contexte de marché noir des antiquités, certains fragments quittèrent clandestinement l’Égypte.
Les premiers acheteurs et les antiquaires locaux
Dans les années qui suivirent, des parties des codex passèrent de main en main. Un codex complet, aujourd’hui appelé Codex Jung (codex 1), finit même par arriver en Europe après avoir été acquis par un collectionneur lié à la Fondation Carl Gustav Jung, en Suisse.
Ce manuscrit sera restitué à l’Égypte plusieurs décennies plus tard. D’autres restèrent entre les mains de familles locales, parfois cachés, parfois vendus morceau par morceau.
Le rôle du Musée Copte du Caire
L’État égyptien finit par intervenir et entreprit de récupérer les manuscrits. La plupart furent progressivement rassemblés au Musée Copte du Caire, où ils sont encore aujourd’hui conservés dans des conditions de sécurité et de préservation spécifiques. Cette centralisation permit leur étude scientifique, même si le processus fut long et chaotique.
L’entrée des codex dans le monde scientifique
Jean Doresse et la première description en 1948
Le premier chercheur à mentionner publiquement ces manuscrits fut le français Jean Doresse*, spécialiste du christianisme primitif. En 1948, il identifia la nature des textes et comprit qu’il s’agissait d’écrits gnostiques datant des premiers siècles du christianisme. Cette découverte confirmait l’existence de courants spirituels longtemps connus seulement par les écrits de leurs adversaires, notamment Irénée de Lyon ou Épiphane de Salamine.
L’acquisition progressive par l’État égyptien
Dans les années 1950 et 1960, les autorités égyptiennes mirent tout en œuvre pour rassembler les codex. Certains restaient encore entre les mains de particuliers, mais petit à petit, la quasi-totalité des treize manuscrits rejoignit le Musée Copte du Caire. Le processus d’appropriation nationale visait à empêcher leur dispersion totale et à permettre leur conservation scientifique.
Le rôle de l’UNESCO et des accords internationaux
Devant l’importance de cette découverte, l’UNESCO s’impliqua pour favoriser leur étude et leur diffusion. Des accords furent conclus entre l’Égypte et des institutions académiques internationales pour publier des éditions critiques et permettre aux chercheurs du monde entier d’accéder à ces textes. Cela marqua une étape essentielle : les codex de Nag Hammadi cessaient d’être des objets de contrebande pour devenir un patrimoine de l’humanité.
Les grandes traductions et l’accès au public
La traduction française dirigée par Jean Doresse puis Henri-Charles Puech
En France, les premiers travaux de traduction furent initiés par Jean Doresse, puis poursuivis par Henri-Charles Puech, figure majeure des études gnostiques. Les éditions françaises parurent progressivement, ouvrant la voie à une lecture universitaire des textes. Elles mirent en lumière la richesse théologique de cette bibliothèque.
La traduction anglaise avec James M. Robinson (Nag Hammadi Library)
Aux États-Unis, c’est James M. Robinson qui prit la tête du projet de traduction en anglais. La publication de The Nag Hammadi Library in English en 1977 permit pour la première fois au grand public anglophone de découvrir ces textes. Cet ouvrage joua un rôle fondamental dans la diffusion internationale des écrits gnostiques et fit entrer le mot « Nag Hammadi » dans la culture populaire.
La diffusion mondiale des textes gnostiques
Dès lors, les traductions se multiplièrent dans différentes langues. Universitaires, chercheurs, mais aussi chercheurs spirituels commencèrent à se plonger dans cette bibliothèque oubliée. Les codex de Nag Hammadi cessèrent d’être un objet d’érudition confidentielle pour devenir une source d’inspiration mondiale, alimentant autant les débats théologiques que les quêtes spirituelles personnelles.
Le contenu des codex de Nag Hammadi
Les évangiles gnostiques (Évangile de Thomas, Évangile de Philippe, Évangile de Vérité)
Parmi les écrits les plus connus, on trouve l’Évangile de Thomas, qui rassemble 114 logia (paroles) attribuées à Jésus, souvent très différents des récits canoniques. L’Évangile de Philippe développe une vision mystique du sacrement et de l’union spirituelle. L’Évangile de Vérité, attribué à Valentin, expose une théologie de la connaissance (gnose) comme voie de salut. Ces textes offrent une vision du message christique centrée sur la révélation intérieure plutôt que sur des dogmes institutionnels.
👉 C’est dans cette même perspective que j’ai écrit « Ce que Jésus a dit et que le monde a voulu taire » (inspiré de l’Évangile de Thomas), un livre qui éclaire ces logia oubliés et révèle leur puissance pour notre époque.
Les traités philosophiques et cosmologiques
D’autres codex contiennent des traités sur la création du monde, le rôle du Démiurge, l’existence des éons et des archontes. Ces écrits, comme l’Apocryphon de Jean ou l’Hypostase des Archontes, décrivent une cosmologie complexe où la chute dans la matière est comprise comme une aliénation de la lumière divine, et où la gnose représente le chemin du retour vers la source.
La diversité et la richesse théologique de la bibliothèque
Au total, plus de cinquante traités composent la bibliothèque de Nag Hammadi. Leur diversité reflète la pluralité des courants gnostiques des premiers siècles. Certains sont proches du christianisme primitif, d’autres intègrent des éléments philosophiques grecs ou égyptiens. Cette variété démontre que la spiritualité des premiers siècles était bien plus riche et multiple que ce que l’histoire officielle a retenu.
L'accueil et les polémiques
Réactions du monde chrétien officiel
La redécouverte de ces textes ne fut pas accueillie sans tensions. Les autorités chrétiennes, en particulier celles de l’Église catholique, craignirent que ces écrits viennent ébranler les fondements établis par les Évangiles canoniques. En effet, les textes de Nag Hammadi remettaient en cause l’image d’un christianisme homogène dès ses origines. Ils révélaient qu’au contraire, une pluralité de courants coexistaient, et que le choix des Évangiles canoniques avait été un processus politique et théologique de sélection et d’exclusion.
Les débats académiques sur l’authenticité et la datation
D’un point de vue scientifique, les spécialistes confirmèrent que les codex dataient du IVe siècle, mais que les textes eux-mêmes étaient bien plus anciens, remontant parfois au IIe siècle. Les débats portèrent sur leur origine exacte, leur relation avec les communautés gnostiques, et leur influence sur le christianisme naissant. Ces discussions académiques renforcèrent la légitimité de ces textes comme sources incontournables pour comprendre les origines du christianisme.
L’intérêt croissant pour la Gnose
Parallèlement, de nombreux chercheurs spirituels, mystiques ou gnostiques modernes virent dans ces textes une confirmation de leurs intuitions. Les codex de Nag Hammadi devinrent une référence pour tous ceux qui cherchaient à retrouver un christianisme intérieur, centré sur la connaissance directe du divin et non sur l’obéissance à une institution.
Les codex de Nag Hammadi aujourd’hui
Leur conservation au Musée Copte du Caire
Aujourd’hui, les treize codex originaux sont conservés au Musée Copte du Caire, dans des conditions qui garantissent leur préservation. Leur étude continue grâce aux progrès de la paléographie, de la numérisation et des analyses scientifiques. Ces manuscrits constituent un trésor pour l’humanité entière, à la croisée de l’histoire, de la spiritualité et de la recherche.
Les éditions modernes et traductions numériques
De nos jours, les codex de Nag Hammadi sont accessibles en ligne, traduits en plusieurs langues, disponibles sous forme d’éditions critiques et d’ouvrages grand public. La diffusion numérique a permis à des millions de personnes de découvrir ces écrits, rompant définitivement avec les siècles d’oubli et de censure.
Leur rôle dans la redécouverte de la Gnose contemporaine
Au-delà du cadre académique, ces textes nourrissent une renaissance gnostique. Ils rappellent que le message du Christ n’était pas seulement celui des institutions, mais permettre à ceux qui portent en eux l’étincelle du Très-Haut de se souvenir de leur origine et de se libérer des illusions de la matière. Pour beaucoup, les codex de Nag Hammadi ouvrent une porte vers une compréhension plus profonde de la quête spirituelle : retrouver en soi l’étincelle du Très-Haut, au-delà des illusions de la matière.
Conclusion – Une découverte qui change notre regard sur les origines du christianisme
La découverte des codex de Nag Hammadi en 1945 fut un événement majeur, à la fois archéologique, historique et spirituel. Elle nous rappelle que le christianisme des premiers siècles était multiple, traversé de courants divergents, dont certains furent volontairement réduits au silence.
Aujourd’hui, ces textes reviennent comme un souffle ancien et nouveau, invitant chacun à chercher en lui-même la lumière de la connaissance. Leur transmission, de la jarre de Jabal al-Tarif au monde numérique d’aujourd’hui, témoigne d’une vérité intemporelle : ce qui est enfoui finit toujours par ressurgir, et la lumière ne peut être cachée éternellement.
Pascale de Tol
Note :
Jean Doresse (1917–2007) fut l’un de ces êtres rares qui ouvrent des portes que beaucoup croyaient à jamais fermées. Historien, égyptologue et archéologue, il fut parmi les premiers à reconnaître l’importance des manuscrits découverts à Nag Hammadi en 1945. Là où d’autres voyaient de simples parchemins, il perçut la voix oubliée d’une tradition spirituelle immémoriale : la Gnose.
Grâce à lui, ces textes enfouis depuis des siècles purent être révélés au grand public. En publiant "Les livres secrets des gnostiques d’Égypte", il fit sortir de l’ombre ce trésor et permit à des générations entières de chercheurs et de chercheurs d’âme de renouer avec cette mémoire.
Par son travail, il nous a rappelé que la vérité enfouie finit toujours par ressurgir, et que la Gnose, malgré les siècles de silence, retrouve inévitablement son chemin vers ceux qui l’attendent.
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